La vidéo a depuis été retirée de YouTube, où des mains mystérieuses s’étaient chargées de la diffuser au moment de l’arrestation du magnat de l’automobile. Mais les images de la fête fastueuse donnée par Carlos Ghosn dans les salons et les jardins du château de Versailles, le 9 mars 2014, sont restées gravées dans les mémoires. Sous les ors de la galerie des Batailles se pressaient figurants en costume d’époque, hallebardiers et huissiers en livrée, musiciens recréant l’ambiance de la cour de Louis XIV afin d’égayer un dîner de gala servi dans la plus fine des vaisselles. A l’issue des agapes, un feu d’artifice avait même été tiré dans les jardins du palais. Mais le roi de la soirée n’était autre que le patron de Renault-Nissan, que l’on voyait accueillant ses invités du haut du grand escalier.

Payée 860 000 euros par l’alliance automobile, la fête s’était tenue le jour de son soixantième anniversaire. Les premiers éléments de l’enquête ouverte au Japon après l’arrestation de Ghosn, en novembre 2018, laissaient supposer que les invités étaient surtout des amis de celui qui était alors PDG. Aujourd’hui, les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, chargés de l’enquête par le juge Serge Tournaire au tribunal judiciaire de Nanterre, ont affiné les investigations. Et à lire l’audition menée au Liban les 2 et 3 juin, le juge considère en tout cas que le PDG déchu aurait fait supporter au groupe automobile «des dépenses personnelles», au premier rang desquelles la fête du 9 mars 2014.
Serge Tournaire souligne à l’attention de Carlos Ghosn que parmi les 154 invités figuraient «95 parents et amis» et «25 politiciens qui seraient des amis et proches». Et seulement «3 salariés» de Renault et 24 distributeurs du groupe dans le monde, ainsi que 6 journalistes (sans oublier une personne «non identifiée», en guise d’invité mystère). Le magistrat relève qu’aucun des membres du conseil de l’Alliance n’était informé de l’événement, qu’aucun cadre dirigeant n’était invité. Il a noté que sur Instagram, «un grand nombre de membres» de la famille Ghosn avaient qualifié la soirée de «réunion de famille»…
«Le symbole du génie de la France»

Pour la première fois, Carlos Ghosn s’explique en tout cas devant un juge sur les soupçons d’abus de biens sociaux dont il fait l’objet suite à cette fastueuse agape. En janvier 2020, lors d’une grande conférence de presse tenue à Beyrouth, quelques jours après son évasion du Japon, il avait justifié le choix de Versailles pour la célébration, officiellement, de l’anniversaire de l’alliance Renault-Nissan. Versailles, c’est «prestigieux», c’est le «symbole du génie de la France. C’est le symbole de l’ouverture au monde», avait-il martelé. Avant d’assurer : «Si vous invitez un Français à Versailles, il ne viendra pas. Si vous invitez un Américain, un Chinois, un Japonais, à Versailles, il va venir en courant !»
Eh bien cela n’a pas été le cas, à découvrir les réponses surprenantes apportées par l’ancien magnat de l’automobile au juge. Pourquoi tant de ses amis ont assisté à la fête ? Tout simplement parce que «des désistements de dernière minute» allaient laisser des places vides, et qu’il a bien fallu remplacer au pied levé les invités absents. Les «officiels chinois» qui ont aidé à introduire Nissan en Chine, loin de venir «en courant», ont boudé l’événement, ainsi que les Russes, contre qui «il y avait eu des mesures de sanctions». «Nous avons eu des désistements massifs des invités russes», affirme Ghosn.
«Tout avait été payé d’avance. M. Ducasse s’en fichait de savoir le nombre de convives, il avait établi son budget à 200 personnes, continue-t-il. Arriver à une réception pour 200 personnes avec des chaises vides aurait été de mauvais effet, il a fallu inviter des personnes de dernière minute mais dont la présence était moins justifiée.»
Confronté à ces explications inédites, le juge s’étonne : «Sur l’aspect des désistements, est-ce que cela est documenté ?» L’ancien PDG promet de trouver les documents et d’interroger qui de droit. Il assure que «malgré les désistements, les deux tiers des invités étaient strictement professionnels». Sur le choix de la date, qui tombait pile le jour de son soixantième anniversaire, alors que celui de l’alliance aurait dû être célébré le 27 mars, il reprend ses arguments déjà rodés : «Le château n’était pas disponible le 27 mars.» La date l’«ennuyait» à cause de son propre anniversaire, assure Ghosn, qui redit, comme il l’a déjà fait, qu’il a organisé le lendemain un dîner au restaurant Monsieur Bleu, dans le XVIe arrondissement de Paris, en compagnie de sa famille et de ses amis afin de dignement célébrer ses 60 ans.
Les «invités du président» logés dans un palace

Carlos Ghosn a en tout cas une appétence particulière pour le château de Versailles. Deux ans et demi après la première soirée, il y organise, le 8 octobre 2016, les 50 ans de son épouse Carole. La réception est visiblement d’ampleur. «Le budget n’était pas très économique car c’est une fête que j’ai payée 230 000 euros», indique Carlos Ghosn au magistrat qui l’interroge sur cette réception. Seul hic, cette somme couvre l’organisation du repas, la décoration, mais pas la location du Grand Trianon de Versailles, soit 50 000 euros. Et pour cause, elle n’a pas été facturée aux époux Ghosn mais prise en charge par Renault. Le constructeur automobile avait signé un contrat de mécénat avec l’Etablissement public du château de Versailles et les 50 000 euros du coût de location de la salle pour l’anniversaire de Carole Ghosn sont ainsi prélevés sur ce budget.

Interrogé sur ce point, l’ex-PDG de Renault assure «n’être au courant de rien» et avoir découvert en 2019 qu’il était écrit «salle offerte» sur la facture qu’il a reçue. Une justification peu convaincante pour le juge, qui demande alors : «Comment se fait-il que vous n’ayez pas été alerté par le fait que cette salle vous était mise gratuitement à disposition pour un événement qui n’intéressait pas Renault ?» L’intéressé se contente d’indiquer : «Je pense avoir répondu à cette question.» Le sujet récurrent des dépenses personnelles de Carlos Ghosn, éventuellement prises en charge par l’entreprise qui l’emploie, apparaît également au moment du festival de Cannes dont Renault est l’un des sponsors. Au-delà des dépenses traditionnelles destinées à mettre la marque au losange en valeur, plus de 300 000 euros ont été dépensés chaque année entre 2014 et 2018 pour les «invités du président», transportés et logés dans l’un des plus luxueux palaces de la Côte d’Azur, l’Eden Roc. Un recensement des participants à ces agapes, établi par le cabinet d’audit Mazars, fait apparaître que la moitié voire plus de la vingtaine de personnes conviées chaque année sont, là encore, «des amis personnels ou des membres de la famille du PDG». «Je ne pensais pas avoir une famille aussi nombreuse», réagit l’intéressé avec humour, avant de considérer qu’il n’a fait que «continuer la tradition».
L’utilisation intensive de l’avion privé mis à disposition par Nissan relevait visiblement moins d’une tradition. L’audit de Mazars relève 34 déplacements, soit 276 heures de vol durant lesquelles l’épouse ou les enfants de Carlos Ghosn sont présents à bord. Au total, le coût de ces voyages, effectués entre 2015 et 2018, est évalué à 8,2 millions d’euros. Le principal bénéficiaire – dont les avocats n’ont pas répondu n’y voit pas matière à soupçons : «A chaque fois que j’allais en vacances et que mes enfants m’accompagnaient, tous les noms étaient notés et transmis au secrétariat de Nissan.» Aujourd’hui, le président du conseil d’administration de Renault, Jean-Dominique Senard, voyage en classe affaires à bord d’avions de lignes régulières.
L’organisation d’une soirée fastueuse en 2014, coïncidant avec l’anniversaire du PDG, dans le château royal aux frais de l’entreprise avait fait polémique.
Pour lui, la polémique autour de Versailles a été orchestrée dans le seul but de « salir » son image. Au cours de sa conférence très suivie de mercredi à Beyrouth (Liban), l’ex-PDG de Renault-Nissan, qui s’est échappé dans des conditions rocambolesques du Japon, s’est défendu d’avoir voulu fêter son anniversaire à grands frais à Versailles en 2014.
Carlos Ghosn avait en effet organisé une fastueuse soirée dans l’enceinte du palais, officiellement pour fêter le quinzième anniversaire de l’alliance de Renault et Nissan. Sauf que cette grande soirée tombait également le jour des 60 ans du PDG. Coïncidence que l’ancien patron a tout de suite écartée : « On voulait salir mon image », s’est-il défendu.
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